lundi 23 septembre 2013

Les Bleus dans les yeux

Mon arrière grand mère, que j’ai eu la chance de connaître par la double conjugaison d’une accroche à la vie hors du commun en ce qui la concerne et d’une capacité quasi surnaturelle de ma part à me souvenir d’instants que je n’ai jamais vécus, mon arrière grand mère donc, disait, « si tu as les yeux bleus tu vois la vie différemment ». Petit j’ai regardé d’un drôle d’œil tous mes copains à l’iris concerné, adolescent je craignais qu’elle n’ait eu des penchants pour le vichy pendant la guerre et plus tard, la science m’a démontré qu’elle avait fait beaucoup de progrès depuis les cours de mon institutrice d’aïeule.

Les Bleus sont champions d’Europe et sans doute voient-ils la vie différemment aujourd’hui. Après un match où ils auront récité leur leçon par cœur sous la houlette de Tony the Best faisant passer le sponsor des lituaniens pour un oiseau de mauvaise augure,  je retiendrais quand même l’exploit hispanique de la demi-finale. Car samedi matin, en tombant sur la Une de l’Equipe je prenais les yeux des Bleus dans la pupille et leurs visages d’enfants devant le sapin de Noël, et je me demandais déjà s’ils voyaient la vie différemment après leur incroyable victoire contre ceux qui ne contemplent pas les mêmes Pyrénées que nous.

A la mi-temps de ce défi, le poids des mots, au final, le choc de la photo ; pari et match gagné. On ne revient pas de nulle part sans attaquer de toutes parts, sans combattre l’inéluctable, sans refuser le censé de l’histoire. Après 10 défaites consécutives contre les toreros, qui feraient passer mes multiples échecs au Rubik's Cube pour des victoires de l’intelligence sur le plastique en couleur, les bleus ont renversé bien plus que le cours d’un match, ils ont modifié celui de leurs vies. Dorénavant ils sauront ce dont ils sont capables mais aussi que rien n’est jamais définitif, qu’il faut toujours se battre jusqu’à la muerte, et que le basket n’est pas un sport où Javier et Pedro gagnent toujours à la fin.

J’ai le sentiment de croire également, en sentant les poils de mes bras se hérisser devant ce cliché, ce qui m’arrive rarement sauf lorsque je croise madame Martin ma gardienne, probablement toujours en course pour le titre de championne du monde des femmes à barbe, qu’ils peuvent aussi changer le cours de notre vie. Au moins pour cette journée. Et tout à coup, j’ai l’impression que tout le monde autour de moi a vu la Une du quotidien sportif. Comment, sinon, comprendre que le boulanger jusque là aimable comme un pain dans la gueule ait ce sourire un peu ahuri que l’on ne rencontre habituellement qu’au cœur d'un orgasme venu de nulle part lui aussi ?

A l’heure d’Instagram qui transforme en Joconde potentielle le gros plan d’une quelconque progéniture ingrate, le cliché de l’Equipe nous a offert comme un cadeau de la vie, des kilogrammes d’instantané de bonheur pur. Et cela a suffit au mien, en ce matin de septembre et alors que n'ouvrant qu'à peine les yeux, je ne doutais plus dès lors qu’ils soient bleus, puisque je venais de voir l'envie différemment.

2 commentaires:

  1. Madame Martin... un petit livre pour toi :
    L'élégance du hérisson de Muriel Barbery très sympa ;-)

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