C’est
mon premier footing depuis la mort de Nelson Mandela. Une course après en
quelque sorte. 46664 dixièmes de secondes pour refaire le parcours d’un
combattant de la paix. Tout est signifiant dans Paris ce soir. La nuit comme
une couleur, les lumières comme des issues, l’isolement comme une douleur,
l’effort humain comme un passage. A la place de clichés ce sont des instantanés
d’héroïsme et de courage qui reviennent à l’ex Prix Nobel. J’enchaîne les pas et je tente de retrouver
son empreinte, créditée pour le compte de ma vie.
Place
de la Bastille. Double événement en 1994. Un grand pas pour l’humanité avec
l’élection d’un premier Président de la République sud-africaine, Madiba, un premier
pas pour ma paternité, avec l’irruption d’un premier résident dans ma vie
privée, ma Juliette. Une année de sens, d’espérances, de vie nouvelle, qui
verra, en fin, Nelson Mandela, revêtu du maillot des Springboks, symbole de la
puissance afrikaner, remettre la Coupe du monde de rugby à son capitaine
François Pienaar, le monde entier se mettre à rêver que les valeurs de ce sport vont pouvoir jouer un rôle dans l’unité d’un pays entier, tandis que, vêtu
de je ne sais plus quel oripeau, signe de mon insouciance vestimentaire, je
remets ma fille sur ses pieds pour lui inculquer les valeurs de toujours se
relever quand on apprend à marcher, me mettant à rêver que je peux jouer un
rôle dans la construction d’un enfant tout entier. Il avait raison, A winner
is a dreamer who never gives up.
Rue du
4 septembre. 1999, ma vie professionnelle bascule. Le rugby s’arrête pour de
bon, le professionnalisme ne sera pas pour moi. Trop vieux. Trop usé. Il faut
trouver une nouvelle aventure. Ce sera Internet, la station Sentier et la
liberté de surfer pour prendre le bon chemin. Je me rappelle avoir vu dans un
bar, un soir alors que je me demandais si j’avais fait le bon choix et que le
serveur ne me l'avait pas laissé quant au format de ma pinte, l’information
annonçant que Nelson Mandela ne serait pas candidat à un second mandat. Trop
vieux. Trop usé. Je me rappelle le courage que cela m’avait donné alors, me
disant que pour d’autres tâches je ne pouvais pas être trop vieux, trop usé,
quand cet homme allait repartir se battre contre le Sida, favoriser l’éducation
et entretenir le devoir de mémoire. Qu’il y avait un temps pour chaque chose
certes, mais que chacune d’elles pouvait être importante, qu’il n’y avait pas
de fin, que l'on pouvait rester affamé, qu’il n’y avait que des projets à mener,
des combats à gagner. Sans crainte. Il avait raison, May your choices
reflect your hopes, not your fears.
Place
Jeanne d’Arc. Je n'ai jamais eu d'idole. Même à l'époque ingrate de cordes
vocales dissonantes cachées derrière six autres électriques pour ressembler à Johnny
Marr ou Robert Smith ; même à celle des premières sélections qui ouvrent
les terrains des possibles vers la succession rêvée d'un Didier Codorniou ou
d'un Philippe Sella ; même à celle où l'on ressent un matin, que le sens
de ce que l'on fera devient l’essence de ce que l'on sera et qu’à tort ou à raison,
par idéal ou par besoin, un Che ou un Steve peuvent indiquer la route. Non, à aucun
moment de ma vie je n’ai eu ce désir absolu de tatouer sur ma peau, le portrait
d’un homme ou d’une femme porte drapeau. Mais l’exemplarité reste le pilier
fondamental de l’évolution. Alors, comment ne pas s’appuyer sur l’héritage de
cet humain exceptionnel qui a su comprendre les autres pour devenir lui-même, scander
sans relâche one man, one vote pour devenir un homme, une voie et
affirmer avec raison, It always seems impossible until it’s done ?
Tandis
que je termine avec fatigue ma course contre la montre, je mesure avec respect
sa course contre les monstres. Je passe devant le Petit Marcel où bientôt je viendrai
déjeuner avec ma petite Charlotte et mon déjà grand Antoine. Si la première ne
manquera pas de me détailler, les yeux brillant, le dernier conte de fée
cinématographié, ce sera aussi l'occasion d'évoquer avec mon fils l’histoire extraordinaire
de Madiba, en attaquant par la séquence rugby. Il connaît l’histoire de la
Coupe du Monde 95 et je sais qu'il me dira que les français comme les all
blacks ont été sacrifiés pour l’atteinte d’une victoire plus importante, celle
d’un homme qui voulait faire d’un pays une nation arc en ciel. Je lui répondrai
alors que je n’en sais rien, que ce qui se passe dans un vestiaire est un
secret à jamais mais que parfois il faut savoir ne retenir que les histoires
essentielles, celles qui commencent par «Il était une foi ». Et sa soeur, 8 ans,
lui dira que j’ai raison.
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