lundi 16 novembre 2009

Alain rêva


« Je suis dans l’œil du cyclone. Il n’y a plus de ciel ; tout est amalgame d’éléments, il y a des montagnes d’eau autour de moi ». Le 16 novembre 1978, Alain Colas envoyait un dernier message, alors qu’il participait à la première édition de la Route du rhum. On ne l’entendrait, ni ne le reverrait plus.

En avance sur tout, technologie, écologie, relation avec les médias, il préfigurait les coursiers de la fin du deuxième millénaire et allait disparaître sans prévenir, alimentant contre sa volonté, le grand livre des légendes des mers. On a tous vu quelque part cet incroyable navire*, quatre mâts, soixante-douze mètres de long, 1000m2 de voilure et bourré de technologie. A sa tête, un seul homme, comme un surhomme, blessé dans sa chair, la cheville découpée par un bout puis réparée tant bien que mal pour pouvoir prendre le départ de la transatlantique qui se profile.

L’image de ce géant des mers dans la baie de Plymouth, restera celle d’un pari qui ouvrit la voie aux formules 1 des mers de notre époque.

Pour ce visionnaire, le prix à payer était parfois lourd. Raillé, méprisé, jalousé par certains qui ne voyaient dans ce « parisien » qu’un bidouilleur imprudent et insolent. A l’inverse, public et médias en avait fait leur favori, car celui-ci, toutes rouflaquettes dehors, amenait une excitation nouvelle, tel un beatle marin, révélant la beauté de la course à la voile à un nouveau public plus jeune et plus féminin.

Je me souviens que mon père, marin de son état, ayant fait l’école des mousses et heureux propriétaire d’un Super estuaire, un mât, 8,3 mètres de long, une grand-voile, un foc, une trinquette et une construction traditionnelle, ne savait pas trop quoi en penser. C’était un inconditionnel de Tabarly, bien sûr, mais il n’était pas insensible, même dans ses diatribes contre lui, au génie et au courage de cet homme.

Que serait-il devenu s’il avait accosté à Pointe-à-pitre aux côtés du petit trimaran jaune de Mike Birch et qu’il avait continué sa route de l’innovation accompagnant la recherche de son développement personnel ? En 1978, Michel Desjoyaux avait treize ans, Loïc Peyron pas encore vingt. Serait-il devenu le leader des skippers qui ont ensuite survolé les océans à la barre d’ordinateurs à voile ? Et la voile ? Aurait-elle connu plus rapidement encore ce vent arrière la portant aux devant des investissements en cascade, du sponsoring haut de gamme et des événements désormais sur-télévisés ?

Evidemment nul ne peut lever le voile sur ces mystères. Ce qui est sûr, c’est que la destinée de ce mâle de mer était de faire passer la voile d’un univers cabalistique à un monde où les océans sont devenus le théâtre des rêves de chacun. Et son mausolée.


* le Club Méditerranée, c’était son nom alors, a traversé les océans, puis le temps, racheté en 1982 par Bernard Tapie qui le rebaptisa Phocéa et le revendit à Mouna Ayoub. Elle le loue aujourd’hui 200 000€ la semaine, après quelques aménagements intérieurs…

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